Cet article présente une méthode de rationnement de la truie en gestation. Cette méthode propose de distribuer une ration constante tout au long de la gestation avec un apport supplémentaire d'1 kg/truie/jour les dix derniers jours de gestation. La quantité allouée par truie est déterminée par le poids vif de l'animal et sa couverture graisseuse (ELD).
Dans ce commentaire, je souhaite reprendre les caractéristiques non pas de la truie d'aujourd'hui, mais des grands types génétiques femelles d'aujourd'hui utilisés en élevage. Je rappellerai ensuite les objectifs de la conduite alimentaire en gestation, l'utilisation de l'aliment par la truie gestante et je soumettrai mon expérience sur ces plans de rationnement.
1. Prendre en compte les caractéristiques des grands types génétiques femelles.
Nous rencontrons aujourd'hui une diversité croissante de lignées femelles en élevage : Large White & Land race, Large White & Land Race & Meishan, Large White & Land Race & Duroc, …
Si toutes sont sélectionnées pour leurs capacités à produire et leur rendement de carcasse, leurs performances de reproduction (prolificité, production laitière), leur gabarit (poids à maturité, développement de la carcasse), leur capacité d'ingestion, la mobilisation des réserves corporelles (gras, muscle, capacité de récupération) diffèrent.
Quelques illustrations::
Sinclair, 1998
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Shurson, 1992
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Large White & Land race | Large White & Land Race & Meishan |
Potentiel de croissance musculaire élevé Poids adulte 260 – 300 kg Forte capacité de mobilisation protéique |
Potentiel de croissance musculaire modéré Poids adulte 220 – 240 kg Forte capacité de mobilisation lipidique |
D'après Langeoire, Centralys, porc Magazine février 2007
Les quatre critères : performances de reproduction, gabarit, capacité d'ingestion, mobilisation des réserves corporelles, sont évidemment à prendre en compte dans la conduite de la gestation.
2. Quels sont les objectifs de la conduite alimentaire en gestation ?
L'un des objectifs majeurs de la conduite alimentaire en gestation est d'adapter les apports alimentaires en fonction de l'état de la truie souhaité en maternité. A ce stade, la truie doit disposer de suffisamment de réserves pour lui permettre de palier au déficit nutritionnel en lactation sans qu'il y ait de conséquences sur ses performances ultérieures ou celles de sa portée.
Les réserves ne doivent pas être excessives afin de ne pas occasionner de problèmes lors de la mise-bas et de ne pas entraîner un appétit trop faible en lactation induisant une forte mobilisation des réserves corporelles.
Au niveau de la carrière de la truie, la phase de gestation doit permettre la reconstitution des réserves mobilisées en excès au cours de la lactation précédente. Cela permet de préserver dans le temps les capacités de reproduction initiales des truies, celles-ci pouvant se dégrader en cas de pertes d'état au cours des cycles de reproduction successifs.
Au niveau du troupeau, la phase de gestation doit permettre de maintenir l'homogénéité des animaux.
Comme le souligne M. Collell, le contrôle de l'état d'engraissement des truies et de leur état corporel, doit être fait le plus précisément possible pour ajuster la ration aux besoins des truies. Cependant, les besoins des truies fortes productrices sont non pas supérieurs tout au long de la gestation, mais plutôt sur les phases de reconstitutions des réserves et sur la fin de gestation.
C'est pourquoi, à mon avis, les plans constants ne sont plus adaptés à la gestion de ces troupeaux.
3. Comment est utilisé l'aliment par la truie gestante ?
Une fois les objectifs d'état à la mise-bas fixés, en fonction du type génétique, du potentiel laitier, de notre capacité à faire consommer en maternité, nous devons prendre en compte les différents besoins de la truie pendant la gestation pour déterminer sa ration optimale.
Nous prenons en compte :
- les caractéristiques de la truie à la saillie et donc la quantité de réserves à reconstituer,
- le mode de logement et son effet sur l'activité physique, les conditions de température,
- le niveau de production.
Ces composantes se répartissent entre :
• le besoin d'entretien : qualité d'aliment à apporter à l'animal pour sa survie et le maintien de son intégrité qui prend en compte de façon non proportionnelle le poids vif,
• le besoin de production : c'est la quantité d'aliment qui sera disponible pour le développement de la portée et la reconstitution de ses réserves.
En gestation, l'essentiel du besoin est la part d'entretien : plus de 2 kg/jour sont nécessaires à la survie de la truie alors que 180 g/jour suffisent pour le développement d'une portée de 22 kg. L'augmentation de la ration allouée pendant la gestation se traduit par une prise de poids et de lard des truies. En revanche, cela a peu d'incidence sur le poids des porcelets à la naissance.
Le besoin lié au développement de la portée augmente de façon exponentielle pendant le dernier tiers de la gestation.
La distribution de la même ration du début à la fin de la gestation, par exemple 2,8 kg/jour d'un aliment standard, permet généralement de couvrir les besoins nutritionnels de la truie et de sa portée en devenir jusqu'à 10-12 porcelets. Pour des portées plus grandes, l'apport alimentaire en fin de gestation peut s'avérer insuffisant pour assurer un développement optimal.
Cependant, comme le montre N. Quiniou (2007), l'augmentation de la ration des deux dernières semaines de gestation, suppose d'avoir limité les apports sur les phases de gestation précédente afin que l'apport global ne conduise pas à suralimenter les truies tout au long de la gestation.
C'est pour ces raisons précises, qu'un plan constant en gestation même adapté à l'état de la truie au sevrage ne me semble pas répondre aux besoins des truies hyper prolifiques. Il est important à mon sens de considérer trois phases en gestation :
• Les 28 premiers jours : avec la reconstitution des réserves mobilisées pendant la lactation. Les modalités de cette reconstitution sont à adapter à la capacité de récupération des truies, très liée au type génétique et à leur production en lactation.
• De 28 jours après la saillie aux trois dernières semaines de gestation : combler les besoins d'entretien.
• Les trois dernières semaines de gestation : monter pour le développement optimal de la portée.
Cette adaptation de la ration en fin de gestation doit être très précise : elle dépend de l'état des truies, leur type génétique, leur potentiel.
4. Quels systèmes de contrôle de l'état corporel utiliser ?
Comme le souligne M. Collell, la grille de notation n'est pas à utiliser.
L'utilisation de l'épaisseur de lard dorsal permet une évaluation très précise de l'état d'adiposité de la truie.
L'estimation du poids permet d'objectiver le gabarit des animaux : des truies musculeuses seront lourdes et maigres. Les variations de poids par exemple en maternité nous permettront d'évaluer la mobilisation des réserves protéiques alors que l'ELD permet d'évoluer la mobilisation des réserves lipidiques.
Ces notions sont complémentaires et toutes deux importantes.
Quelques illustrations
La constitution des réserves corporelles chez la jeune truie. EDE 2003
ELD sortie quarantaine |
< 11,5 mm
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11,5 – 13 mm
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13,5 – 15 mm
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15 mm et plus
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Poids vif sortie maternité 1ère mise-bas |
187
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186
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187
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190
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ELD sortie maternité 1ère mise-bas |
12,7
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14
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14,5
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16,1
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Pour un même poids 187 kg, on peut avoir une couverture adipeuse plus ou moins importante 12,7 mm ou 14,5 mm.
Le poids nous donne une indication précieuse sur le développement musculaire.
La technique alliant estimation du poids vif et ELD est donc très séduisante.
En pratique, nous utilisons l'estimation de l'état d'engraissement des truies avec les épaisseurs de lard dorsal (ELD).
Contrairement à M. Collell, je pense que cette technique utilisée d'une façon régulière en élevage pour adapter la ration à l'état de la truie au sevrage, pour périodiquement valider la justesse des apports sur les différentes phases de gestation est très efficace. Utilisée depuis plus de dix ans, elle nous a permis de travailler la constitution des réserves chez la jeune truie, l'homogénéité des troupeaux et de proposer aujourd'hui des plans permettant de mieux gérer l'hyper prolificité.
5. Et l'épreuve du terrain ?
La méthode proposée par M. Collell, initialement développée par F. Aherne, a déjà été mise en place dans certains de nos élevages.
Comme nous l'avons vu, elle ne prend pas suffisamment en compte la reconstitution des réserves mobilisées au cours de la lactation précédente. Ainsi, dans l'élevage suivant, élevage de 250 truies, naisseur - engraisseur, sevrage 28 jours, génétique femelle Large-White & Duroc, l'application stricte de cette méthode a sévèrement pénalisé les jeunes truies : les primipares, plus légères, avec une mobilisation importante des réserves lipidiques sur leur première lactation, n'ont pas pu refaire leurs réserves. Ces primipares à moins de 16 mm au premier sevrage, ont définitivement été pénalisées sur les critères de fertilité et prolificité sur le cycle, voire les cycles suivants. Nous avons fabriqué des jeunes truies maigres.
12 mm
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de 13 à 17 mm
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> 18 mm
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1ère MB |
14,25
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15,6
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21,5
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2ème IA |
11,75
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14,4
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19
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3ème IA |
10
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12,1
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16,75 |
A l'inverse, les truies lourdes et grasses, à 2,8 kg, tout au long de la gestation prenaient encore du poids et entraient encore plus grasses en maternité, posant des problèmes d'appétit importants.
Cette expérience malheureuse confirmée dans un autre élevage a conforté mon impression que cette méthode pénalisait les jeunes truies et accroissait l'hétérogénéité du troupeau.
En conclusion :
A mon avis, les points essentiels de la conduite alimentaire de la truie gestante sont :
- de fabriquer dès la quarantaine des lots de cochettes homogènes et suffisamment couvertes,
- d'adapter les rations allouées sur les différentes phases de gestation afin de reconstituer les réserves de la truie et de permettre l'augmentation des dernières semaines de gestation,
- de préserver l'état corporel des truies à la mise-bas en évitant que des animaux soient en carence ou en excès à l'entrée en maternité.
La prise en compte du gabarit des truies qui se traduit par leur poids vif, lié au développement musculaire des animaux est capitale.
Elle est très liée au type génétique et à ses caractéristiques. Des techniques comme les mesures d'épaisseur de muscle devraient nous permettre de mieux décrypter ces aspects et de mieux répondre à la mobilisation des réserves protéiques des animaux.
Quelque soit la génétique, le gabarit de la truie se fait dès la cochette, en quarantaine et sur la première gestation notamment. C'est là que nous devons adapter nos recommandations alimentaires en priorité.
L'utilisation de la mesure de lard dorsal au sevrage pour adapter la quantité distribuée en gestation permet déjà une très bonne maîtrise du troupeau en appliquant un plan gestante prenant en compte les différentes phases de gestation.
Nous devons mieux intégrer cette prise en compte du gabarit et des variations liées à la génétique. Le travail en cours sur les épaisseurs de muscles nous y aidera.