Le marché traverse une période véritablement exceptionnelle. Nous avons vécu une semaine 12 avec un prix officiel du porc vif en Espagne supérieur de 35 centimes à celui de l’Allemagne. Et la semaine 13 a suivi le même chemin, avec, pour couronner le tout, une légère hausse du prix espagnol. Du jamais vu. En effet, au 18 mars, les prix du porc vif étaient les suivants :
- Espagne = 1,69 euros / kilo vif, départ ferme.
- Allemagne = 1,34 (équivalence en vif selon Mercolleida).
Cette semaine-là, un porc valait 40 euros de plus par tête en Espagne qu’en Allemagne. Aussi réel que la vie elle-même.

La cotation du porc en Allemagne est lourdement pénalisée par la présence de la PPA ; qui plus est, un cas de fièvre aphteuse a été déclaré en janvier dans un élevage de buffles d’eau non loin de Berlin. La combinaison des effets secondaires de ces deux problèmes superposés a anéanti toute possibilité de hausse là-bas. L’impossibilité totale d’exporter vers les pays tiers a un coût, et pas des moindres.
La réalité du marché espagnol reste la même : un manque structurel de porcs pour alimenter une capacité d’abattage surdimensionnée. Comme nous l’avons déjà dit, cette situation est aujourd’hui endémique. La loi de l’offre et de la demande s’impose : les porcs augmentent parce que la demande dépasse l’offre. Simple et facile à comprendre. Ce qui se passe est possible ; peut-être difficile à croire, mais possible.
L’Allemagne et l’Espagne sont toutes deux des États membres à part entière de l’Union européenne. Cette Union peut également se définir comme le « Marché unique européen ». On peut alors se demander où est passée cette supposée unité face à de telles différences abyssales. En regardant le prix de vente, l’éleveur allemand lutte pour couvrir ses coûts, tandis qu’en Espagne, le prix dépasse largement les coûts de production. Il convient de nuancer la notion de « marché unique » en tenant compte des circonstances (législations du travail, contraintes environnementales, capacité d’exportation des opérateurs, etc.) propres à chaque État ; néanmoins, la situation actuelle est extrême et génère des tensions importantes.
55 % des exportations espagnoles de viande de porc sont destinées aux autres pays membres de l’UE ; sur ces marchés, nous devons rivaliser avec les viandes d’Allemagne et de ses voisins. Il n’est pas facile de rivaliser face à des concurrents dont les prix sont nettement plus bas que les nôtres.
La réalité, pure et dure, est que le prix actuel du porc en Espagne n’est possible qu’au prix de marges négatives pour les abattoirs. Il semble qu’abattre et découper du porc en Espagne soit, en ce moment, une activité déficitaire sur tous les fronts et pour tous les opérateurs, aussi compétitifs et efficaces soient-ils. Il est évident que cette situation met à rude épreuve toutes les coutures du marché. Elle en touche même le cœur.
Face à cette dure réalité, la demande de porcs destinés à l’abattage devrait se replier, en quête d’un certain équilibre et pour freiner l’élan des hausses. La vitesse à laquelle cette demande diminuera déterminera jusqu’où pourra encore monter le prix du porc espagnol. Nous ne devrions plus être très loin du plafond.
Il ne faut pas passer sous silence l’important flux d’importations de porcs vivants, de l’UE vers l’Espagne. Tant pour l’élevage que pour l’abattage. À notre avis, ce phénomène constitue un facteur de risque non négligeable qu’il conviendrait de limiter. Jouer avec le feu, c’est s’exposer à s’y brûler.
La vie continue. Il y a deux semaines, nous avons appris l’apparition d’un cas de fièvre aphteuse en Hongrie. Le premier dans ce pays depuis plus de 50 ans. Et voilà qu’une semaine plus tard, le vendredi 21, des foyers ont aussi été détectés en Slovaquie. Là aussi, après un demi-siècle d’absence. Il faut être vigilant, garder les yeux ouverts, et faire preuve de la plus grande prudence. Et même cela ne suffira peut-être pas. Un incident sanitaire de cette ampleur en Espagne aurait des conséquences catastrophiques.
Les prix de la viande restent plutôt figés. On peut espérer que le marché se réveillera avec Pâques. Comme toujours, la saison des barbecues apportera un coup de pouce à la consommation de viande. Le marché a besoin de cet oxygène qu’apporterait une meilleure demande en viande.
Lors du dernier marché du mois, l’Allemagne a fait un pas en avant en augmentant de 13 centimes le prix de son porc en carcasse. Elle a enfin pu rattraper les retards accumulés pendant les fêtes de Noël, et l’odeur du printemps commence à se faire sentir. Cette hausse était nécessaire et contribuera à redonner de la valeur à la viande. Cela dit, l’Allemagne part de très loin (comme expliqué plus haut), et l’écart de prix avec l’Espagne reste considérable. Notons tout de même une bonne nouvelle : certains marchés commencent à rouvrir à la viande allemande, en l’absence de nouveaux cas de fièvre aphteuse (le Royaume-Uni vient de rouvrir ses frontières récemment).
Les marchés asiatiques montrent une forte demande en poitrine ; il en va de même pour l’Amérique du Nord. Dans un marché plutôt apathique, la poitrine s’est fortement revalorisée en Espagne. Ce n’est pas le cas des autres morceaux.
Nous abordons les mois de beau temps avec des perspectives contrastées : l’éleveur espagnol profite de marges confortables, l’abattoir lutte de toutes ses forces pour ne pas sombrer, et le transformateur peut tirer profit d’un marché de la viande en demi-teinte. L’avenir proche reste à écrire.
Nous terminerons aujourd’hui par une citation du philosophe catalan Jaume Balmes à propos de l’attention : « Grâce à l’attention, nous remarquons les merveilles et les récoltons ; dans la distraction, nous laissons peut-être tomber à terre l’or et les perles comme s’il s’agissait de bagatelles. »

Guillem Burset