Exception après exception et secousse après secousse, nous approchons de la fin de l'année. Jamais auparavant nous n'avions connu une année comme celle-ci. La guerre en Ukraine et les perturbations des chaînes d'approvisionnement mondialisées ont conduit à des situations délicates jamais vues auparavant.
Le marché espagnol du porc poursuit son cours comme prévu : d'un sommet de 1,72, le prix a baissé doucement pour atteindre 1,64 aujourd'hui. Nous avons perdu 8 centimes en cours de route, soit 5 % de la valeur maximale connue. Ces 5 % ne sont rien comparés à la réévaluation de plus de 70 % enregistrée entre janvier (1,02 €/kg, rappelons-le) et septembre.
En Espagne, pour l'instant et structurellement, il existe une capacité d'abattage installée qui dépasse largement l'offre en vif, même à son maximum actuel. En d'autres termes, l'offre ne suffit pas à satisfaire la demande dans l'état actuel des choses. La réalité à ce jour est que les abattoirs ont besoin des porcs et qu'ils laissent derrière eux des lambeaux de leur marge en cours de route. En novembre, le nombre de porcs abattus n'a jamais été aussi élevé (les deux dernières semaines ont été record) et pourtant les porcs reprennent du poids à pas de géant. L'abattoir n'a toujours pas de marge et l'industriel soupire pour une baisse des prix de la viande qui se fait attendre.
L'Europe est confrontée à un hiver dont toutes les données historiques sont déréglées : en Allemagne, on constate semaine après semaine une baisse très importante de l'offre, en Pologne on parle de réductions des abattages de plus de 15 % par rapport à l'année dernière, le Danemark vient d'annoncer une réduction de 10 % de son effectif porcin.... En général, sur notre continent, personne n'est capable d'envisager l'avenir avec optimisme. La réduction des effectifs est une réalité partout où l'on regarde, à l'exception notable de... oui, vous l'avez deviné : l'Espagne ! (si elle devait diminuer en 2022, ce serait de moins de 1 %, ce qui est négligeable).
En essayant de mettre en perspective le marché mondial (nos concurrents et notre principal client), regardons ce qui se passe avec les prix par rapport à nous :
- En Allemagne, le prix de la carcasse est actuellement inférieur d'environ 20 centimes par kg à celui de l'Espagne.
- Le prix du Brésil se situe actuellement entre 1,20 et 1,30 €/kg vif, soit au moins 0,35 €/kg vif de moins qu'en Espagne.
- Aux États-Unis, le prix du vif est actuellement inférieur à 1,40 €/kg, soit 24 centimes par kg de moins qu'en Espagne.
- Au Canada (Ontario), le prix du vif équivaut actuellement à 1,17 €/kg ; au Canada (Québec), il est encore plus bas : 1,05 €/kg vif. Une différence incroyable de 47 centimes par kg de moins en Ontario et un écart encore plus terrifiant de 59 centimes par kg de moins au Québec. Les pauvres éleveurs canadiens sont les grands perdants.
- En Chine, le prix est encore cher par rapport aux chiffres historiques ; il reste 20 % au-dessus des sommets atteints avant la PPA et le gouvernement continue de mettre de la viande de réserve sur le marché pour freiner l'escalade des prix à la consommation. La continuité de ses importations - à un rythme ou à un autre - semble garantie pour l'instant.
La réalité de ces prix nous incite donc à réfléchir : pouvons-nous continuer à être plus chers que quiconque - dans le monde occidental - étant donné que nous exportons nettement plus de la moitié de ce que nous produisons ? Une grande question à laquelle la réponse est assez évidente : cela ne semble pas possible à moyen et long terme.
En cette année étrange et perturbée, secouée de toutes parts, on a l'impression qu'en Espagne tous les opérateurs porcins ont couru, couru sans cesse ; sans avoir le temps de s'arrêter, de respirer et de voir les choses avec un minimum de recul. Dans le style du film vintage "On achève bien les chevaux".
Nous assistons à un totum revolutum qui, bien que spectaculaire, ne suffit pas à cacher ou à dissimuler un changement structurel - spectaculaire - au sein de l'UE : le centre de gravité de la production porcine européenne se déplace inexorablement vers le sud-ouest du continent. Il s'agit d'un changement tectonique, répondant à d'immenses forces telluriques, et il n'y a pas de retour en arrière possible. Pour des raisons diverses, l'engraissement des porcs n'a pas été rentable en Europe centrale, mais il l'est en Espagne.
Sur notre marché de référence, un dilemme se pose chaque semaine : les abatteurs demandent des porcs malgré leur faible marge, les poids moyens des carcasses se sont rapidement redressés malgré l'ampleur des abattages et les éleveurs tentent de se retrancher dans une défense opiniâtre de leur position. La réalité est que les baisses automnales ont été très douces et que nous sommes toujours à des prix records, toujours confortablement au-dessus du prix de revient. Cette résilience du prix du porc espagnol à tomber en dessous du prix de revient est ce qui explique en fin de compte que l’effectif n’ait pas diminué ici. Si on n'y perdue pas, alors... on continue à produire à plein régime.
Le mois de novembre a été un mois sans jours fériés, à l'exception du mardi 1er ; Noël et la Saint-Sylvestre tombent un dimanche et les jours fériés du mois de décembre ne seront pas aussi nombreux qu’à d’autres occasions : cette circonstance sera utile, car l'activité du secteur n’en sera pas aussi perturbée. Une pénurie de viande nationale est attendue en Allemagne pour ces fêtes de Noël... tout semble favoriser une résistance à la baisse ; néanmoins, il nous semble que les prix vont poursuivre leur lent déclin au sud des Pyrénées.
Terminons par une citation d'Épicure (philosophe grec né en 341 avant J.-C.) : "Ne gâche pas ce que tu as en souhaitant ce que tu n'as pas ; souviens-toi que ce que tu as maintenant n’était autrefois qu’une chose que tu souhaitais".
Guillem Burset