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Dichotomie infranchissable : force en vif, faiblesse en viande

Marché du porc : en pleine expansion en Espagne, non concentré en Europe et avec des interrogations en Chine. Marché de la viande de porc : au plus bas en Europe.

Il a rarement été aussi difficile pour nous de saisir l'essence du marché qu'en ce moment. En effet, outre le fait qu'une partie de nos prévisions ne se sont pas réalisées (l'Allemagne n'est non seulement pas restée dans la trêve de Pâques, mais a même fait marche arrière, et en Espagne, nous avons dû répéter encore et encore) ; reste à voir comment les choses vont évoluer à l'avenir. Cela ne nous fait pas de mal de reconnaître les faits ; il y a cinq semaines, le marché nous semblait beaucoup plus fort qu'aujourd'hui. Il est propre aux sages de rectifier.

Nous allons essayer d'éclairer l'obscurité. Cela n'a pas été facile, mais nous avons recouru aux faits vrais et contrastés, fuyant les élucubrations fantaisistes.

Pour essayer de comprendre la situation actuelle, nous devons analyser différents marchés, à savoir :

Marché du porc vivant en Espagne :

Effréné. Les abattoirs recherchent et ont besoin de porcs. Et ils ne les trouvent pas. Des porcs vivants sont importés de France et d'Europe centrale. La situation ne va pas s'améliorer pendant l'été : la tension est assurée. La seule façon de diminuer l'"envie de tuer" est de faire disparaître la marge des abattoirs. L'apparition sur le marché du macro-abattoir de Binéfar et l'annonce de l'implantation du premier opérateur allemand à Calamocha garantissent une demande perpétuellement supérieure à l'offre. À court terme, rien ne changera : les porcs continueront à être en nombre insuffisant.

Marché du porc vivant en Europe :

Décontenancé et totalement décentré. En semaine 16, nous avons vu que l'Allemagne a baissé le mercredi 21, de 8 centimes en carcasse (une baisse significative, fruit de la panique face à l'effondrement de la vente de viande), et le lendemain la France a augmenté de 5 impressionnants centimes en carcasse (probablement un mouvement d'autodéfense pour arrêter l'hémorragie des porcs vivants qui défilent pour être abattus en Espagne). Hausse maximale autorisée, d'ailleurs. Ce qui est surprenant et inédit, c'est qu'il s'agit de deux puissants mouvements antagonistes. Nous n'avons jamais rien vécu de tel auparavant. La possibilité d'exporter ou non vers des pays tiers est très déterminante.

Ne perdons pas de vue qu'à l'heure actuelle, l’éleveur allemand facture ses porcs à un prix équivalent de 1,11 €/kg vif et que, en revanche, en Espagne, le prix minimum est supérieur au prix officiel du tarif de 1,46. La différence de 35 centimes par kg en vif est énorme. Si un éleveur allemand fait payer ses porcs environ 10 centimes de moins que le prix de revient actuel (c’est là un autre sujet, le prix des aliments pour animaux a explosé et restera élevé), alors l'éleveur espagnol gagnerait environ 25 euros par animal... Cela donne à réfléchir. Un jour, nous expliquerons le pourquoi et le comment de ces différences (et le pourquoi et le comment du succès de la filière porcine espagnole).

Marché de la viande de porc en Europe : Par terre. Sous assistance respiratoire. La persistance du COVID et les mesures restrictives dans tous les domaines de l’hotêllerie (dans la plupart des pays, la fermeture est encore totale) pèsent comme une dalle sur la viande (aloyaux à 3 €/kg : du jamais vu, déprimant et déplorable). Le mauvais temps persistant s’ajoute en tant que cause négative pour l'évolution du marché. Il est probable que dans trois ou quatre semaines, avec la levée progressive des mesures restrictives et l'arrivée du beau temps, on assistera à une explosion de la demande. C'est tout à fait possible.

Marché chinois : La Chine est depuis longtemps le facteur le plus important de l'équation. Et de la Chine nous viennent des nouvelles d'un abattage abondant et d'un rétablissement de son cheptel à des niveaux très proches de ceux d'avant la PPA (97% selon le Ministère chinois de l'Agriculture). Le prix mondial des aliments ne cesse d'augmenter, ce qui répond probablement à l'existence en Chine de bouches plus nombreuses que jamais à nourrir. Le prix du porc en Chine est en baisse depuis treize semaines consécutives, et est passé de 36 yuans en janvier à 23,64 yuans actuellement (figure 1). Une baisse de 35% est loin d'être négligeable. L'abondance de l'abattage chinois est la raison pour laquelle les importations sont moins indispensables. Et donc les commandes des Chinois ont ralenti et, surtout, leurs prix ont baissé, ils sont loin d'être ce qu'ils étaient. D'abord les jambons et maintenant les épaules sont déjà payés à des prix comparables aux prix européens. Certains opérateurs réputés prévoient un rebond significatif des prix, mais cela reste à voir.

Figure 1. Évolution du prix de la viande de porc en Chine, d'avant l'apparition de la PPA à aujourd'hui.

Figure 1. Évolution du prix de la viande de porc en Chine, d'avant l'apparition de la PPA à aujourd'hui.

Marchés asiatiques : Presque toujours à la suite derrière le géant chinois. Mentionnons que les Philippines ont étendu leur quota d'importation à faible droit de douane de 35.000 t à 400.000 t, en prévision des pénuries de viande causées par la présence de PPA sur leur territoire. Le Japon et la Corée maintiennent leur rythme.

Nous pensons que le marché espagnol du vif va continuer à se répéter : une baisse est impensable dans la situation actuelle de pénurie de porcs, pas plus qu'une hausse n'est pressentie alors que l'ensemble des cours européens évoluent à plusieurs marches en dessous. On dirait que les répétitions ont été les piliers d'un pont vers le futur en attendant le rebond européen (100% de certitude, car l'Europe vient de très bas) ou l'improbable -pour l'instant- rebond chinois.

Nous verrons comment ils digèrent les tensions liées au manque de porcs qui apparaissent chaque année à la mi-juin. Baisser, ils ne vont pas baisser, quant à remonter... Ce n'est pas exclu, mais cela va être difficile, et cela reste à voir.

Rappelons que l'abattage espagnol totalise plus de 1.100.000 porcs par semaine. Rappelons également que l'Espagne exporte 58% du total des abattages. Ajoutons qu'en janvier et février de cette année, 40% de notre production hebdomadaire totale de viande a été exportée vers la Chine. Nous sommes très exposés à des facteurs externes (que nous ne pouvons pas contrôler) et toute perturbation des flux d'exportation se traduit par des milliers et des milliers de tonnes.

Comme l'a dit un jour le grand Woody Allen : "L'avantage d'être intelligent, c'est qu’on peut faire l'idiot, alors que le contraire est totalement impossible".

Guillem Burset

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