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Faire de l'impossible une réalité

Que se passe-t-il avec le prix du porc espagnol ? Notre analyste Guillem Burset explique cette anomalie sur le marché international du porc.

Nous avons commencé l'année 2023 avec le prix le plus élevé jamais atteint au mois de janvier. Ces derniers temps, nous avons sauté d'exception en exception et de record en record. Cette nouvelle année commence comme la précédente s'est terminée, avec un marché tendu à l'extrême.

Depuis la mise en service du nouveau macro-abattoir de Binéfar, l'Espagne dispose d'une capacité d'abattage qui dépasse - et de loin - l'offre disponible de bétail à abattre. Inévitablement, cette circonstance, qui dure dans le temps, entraîne des négociations tendues entre les éleveurs et les abattoirs.

L'incidence importante du SDRP au cours des derniers mois contribue à la pression en réduisant davantage la disponibilité du bétail. Cela en remet une couche, et il manque beaucoup de porcs (pour ce que nous voudrions abattre), vraiment beaucoup. Notre idée comme quoi le porc baisserait en février s'est évanouie comme neige au soleil du mois d'août.

Figure 2. Évolution des prix dans les principaux pays exportateurs de janvier 2022 à aujourd'hui.

Figure 2. Évolution des prix dans les principaux pays exportateurs de janvier 2022 à aujourd'hui.

Ceci dit, si la Castille est large, il s'avère que le ”Monde mondial” l’est bien davantage. Voyons dans le graphique suivant les prix actuels des porcs dans le monde occidental (nous exposons les prix "en brut" sans considérer ni évaluer les hypothétiques primes de surprix qui pourraient exister sur notre marché, étant donné qu'il est si tendu) :

Figure 1 : Comparaison des prix actuels dans les principaux pays exportateurs de viande de porc.

Figure 1 : Comparaison des prix actuels dans les principaux pays exportateurs de viande de porc.

Ce tableau nous permet de conclure qu'en Espagne, nous avons non seulement un prix du porc, mais plutôt une sorte de "Monument au Prix du Porc", perché là-haut dans sa tour d'ivoire particulière. Le prix le plus cher parmi les pays dont les exportations sont importantes. Quoi qu'il en soit, au vu du graphique des prix, nous devons dire... pauvres agriculteurs canadiens !

Nous savons que, depuis quelques années, l'Espagne exporte plus de 55 % de la viande de porc qu'elle produit. Toute cette viande exportée est en concurrence avec la viande des États-Unis (premier exportateur mondial), du Canada et du Brésil, principalement en Asie.

Nous savons que la demande espagnole de porcs ne peut pas être satisfaite (d'où les dernières hausses) et que, partant de ce principe, le marché monte en flèche. Les abattoirs subissent des pertes sauvages et le secteur de la transformation n'a pas été en mesure de répercuter les hausses de viande du printemps dernier sur ses produits transformés pendant des mois.

Nous exportons plus de la moitié de ce que nous produisons et nous avons aussi le porc le plus cher des pays occidentaux ? C'est ce qui se passe ici et maintenant. Cela semble impossible mais ne l'est pas, car cela a lieu, cela se passe et c'est de plus réel et palpable.

La viande - sur les marchés internationaux - n'a fait que baisser depuis le début de l'année ; l'abattoir constate au fur et à mesure que le temps passe que sa marge passe de la perte de quelques centimes à la perte - comme on l'a dit - de sommes follement importantes chaque semaine. La réduction volontaire d’activité (abattre à perte ? Non merci) s’impose déjà, ce qui devrait laisser du bétail vivant sur pied dans les exploitations plutôt que dans les camions de transport vers l'abattoir. Lorsque cela se produira (les choses vont lentement, il reste à voir si ce sera en février), la hausse actuelle s'arrêtera et nous pourrons penser à descendre. Notons ici que le poids moyen des carcasses abattues est au plus haut dans l'histoire, à environ 93 kilos ; en principe, plus de poids en carcasse devrait signifier plus d'offre, mais... tout est différent et très exceptionnel ces derniers temps.

L'industrie de l'abattage et de la découpe est confrontée à une année plus compliquée que jamais. Il en va de même pour les fabricants, qui sortent déjà d'une année aux résultats négatifs. Il n'y a aucun facteur en vue qui puisse corriger ou réparer le gâchis actuel (d'une certaine manière, il faut bien qualifier ces pertes sauvages) et il n'y aura pas d'autre choix que de souffrir et d'essayer de résister. Nous verrons ce que nous n'avons jamais vu auparavant de rendements négatifs dans ce maillon de la chaîne.

Nous sortons d'une année totalement atypique ; nous pourrons évaluer en cours d'année dans quelle mesure nous sommes affectés par la réduction très importante des abattages en Allemagne. Comme nous l'avons expliqué dans des commentaires précédents, la réduction des effectifs en Europe centrale (Allemagne, Pologne, Belgique, Pays-Bas...) est un fait indéniable et ses effets sur le secteur en Espagne sont inconnus en raison de la nouveauté de la situation. Il semble évident que la réduction de l'offre locale en Europe centrale créera des opportunités pour les opérateurs espagnols.

Quoi qu'il arrive, nous devrons vivre avec des prix de l'énergie très élevés et des aliments pour animaux à des prix jamais vus auparavant. Le prix de la viande de porc en Espagne sera beaucoup plus élevé que d'habitude tout au long de l'année. En tout état de cause, à ce stade de l'année, avec un marché du vif hyper tendu et la réduction progressive du coût des aliments, il semble que la rentabilité de la production porcine espagnole soit assurée pour toute l'année 2023 (sauf catastrophes imprévisibles).

L'abattoir est pris entre deux feux (comme l'industriel l'était l'an dernier) : la pénurie d'approvisionnement d'une part (qui ne sera pas corrigée dans le courant de l'année) et l'abondance de viande dans les confins internes de l'UE (qui persistera tant que la Chine ou l'Asie en général ne prendront pas le relais). Le crédit et le poumon économique de la filière seront les facteurs clés en 2023.

Le grand philosophe allemand Emmanuel Kant a dit : "L'intelligence d'un individu se mesure à la quantité d'incertitude qu'il peut supporter". Nous y voilà. Exactement à ce point.

Guillem Burset

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