Nous voici, une fois de plus, comme à la fin de chaque mois, en train de commenter la situation actuelle et la réalité du marché espagnol du porc. Parfois, la réalité peut sembler déroutante (tout est très déroutant), mais nous allons essayer d'en élucider les facettes.
Hier, jeudi 29 juin, le marché de référence du porc espagnol (Mercolleida) a reconduit sa cotation. Il s'agit de la treizième répétition consécutive, ce qui constitue un véritable record.
En juin, peu de choses ont changé : l'offre reste très faible, la viande ne réagit pas (elle est au plus haut, les consommateurs font face à une forte inflation et la consommation est au plus bas) et les semaines s'écoulent dans une situation qui semble être une impasse perpétuelle.
Aux Etats-Unis, le prix du porc a fortement augmenté depuis le mois d'avril : 40% jusqu'au 15 juin. Il se situe en ce moment à un prix équivalent en vif d'environ 1,45 euros / kg. Les Etats-Unis profitent des prix européens très élevés pour exporter à plein régime vers l'Asie.
Au Brésil, le porc ne reprend pas : les dernières cotations évoluent dans une fourchette allant de l'équivalent de 1,11 euros / kg vif à 1,24 euros / kg vif. Depuis l'Espagne (depuis la distance et sans information concrète à ce sujet), nous sommes enclins à penser que ce prix si morose pourrait être dû à l'absence de capacité d'abattage. Au Canada, les prix restent ruineux : de l'équivalent de 1,00 euros/kg vif à 1,13. Depuis l'Espagne (depuis la distance et sans information concrète sur le sujet), il nous est difficile de comprendre cette situation, surtout si l'on sait que les abattages totaux y restent dans la fourchette normale.
En Europe, nous avons connu trois hausses en Allemagne au cours des dernières semaines : 5 centimes en carcasse le 24 mai, 5 centimes de plus le 7 juin et une augmentation surprenante de 7 centimes avant-hier. Le prix actuel équivaut à environ 1,90 euro/kg vif, bien en dessous de notre prix "officiel" de 2,03. Traditionnellement, la fin du mois de juin marque le début de la période des vacances en Allemagne, avec pour conséquence une réduction de la consommation, le pays se vidant en partie. La hausse d'avant-hier est due à la demande désespérée de carcasses de la part des opérateurs d'Europe de l'Est qui ont besoin d'alimenter leurs filières (certaines carcasses belges ont été vendues à plus de 3,00 euros / kg livré !!). Il se pourrait que cette étrange hausse soit due à une lutte intérieure pour la suprématie des abattoirs. Nous pensons que la viande restera très lourde et sans réelle possibilité de hausse.
Au fil des semaines et des mois, les exportations vers l'Asie s'essoufflent, les volumes diminuent et les prix s'affaiblissent. Tout semble indiquer que le porc espagnol doit baisser...
Nous reproduisons partiellement ci-dessous un paragraphe de notre commentaire d'il y a un mois : ce qui y est mentionné est toujours très actuel et valable (compte tenu du blocage mentionné au début) : "Ce prix somptueux (presque mieux un monument au prix) si exagéré stresse le marché jusqu'à des limites insupportables ; les entreprises (abattage, découpe, fabrication de charcuterie) sont en perte semaine après semaine, sans aucun signe de changement à court terme. Comme nous l'avons annoncé, il y aura des conséquences négatives dans un avenir proche".
Selon Mercolleida, les poids moyens des carcasses sont aujourd'hui supérieurs d'environ 5,00 kg à ceux de l'année dernière à la même époque. Les températures douces de ce mois de juin (rien à voir avec l'année dernière) ont favorisé la croissance. Cette situation est également due au fait que l'éleveur maximise et optimise son profit, en administrant et en gérant soigneusement les livraisons à l'abattoir. Les cinq kg supplémentaires par porc signifient qu'il y existe dans les élevages un réservoir de têtes en attente d'abattage (qui auraient déjà été abattues l'année dernière), équivalant - grosso modo - à une semaine d'abattage.
Ce "réservoir de bétail" servira, cet été, à atténuer la pénurie plus que prévisible et importante de l'offre en vif. En tant que réserve de crise, il permettra d'amortir la "traversée du désert" prévue. La réduction de l'offre due à l'impact de la chaleur sera diluée en partie par ces porcs supplémentaires qui existent actuellement et qui feront leur apparition.
Quoi qu'il en soit, et même en l'absence de maux majeurs (qui, espérons-le, ne se produiront pas), 2023 restera dans les mémoires de l'ensemble de la filière comme "annus horribilis" en raison de l'accumulation incessante des difficultés. Tous les opérateurs de la chaîne (à l'exception des éleveurs se portant bien) ont subi de lourdes pertes semaine après semaine au cours des derniers mois. Nous pensons que ces pertes prolongées vont favoriser la concentration des entreprises dans le sens de ce qui s'est passé récemment : des opérateurs moins nombreux et plus grands. Comme par le passé, laissons le temps au temps.
Un changement de scénario (c'est-à-dire une baisse des prix, toute hausse étant plus qu'exclue) n'est pas envisageable avant la fin du mois d'août ; l'offre restera largement inférieure à la normale mais la viande ne peut que baisser, plombée par l'absence d'exportations vers les pays tiers. Il est probable que, si l'accumulation des invendus en Asie se poursuit, la baisse du porc puisse même être avancée à la fin du mois de juillet, sans que l'on puisse exclure qu'elle se produise plus tôt. L'abattoir voit sa marge négative augmenter petit à petit en raison du désintérêt des clients asiatiques pour l'achat en Europe alors qu'ils disposent d'alternatives beaucoup moins chères en Amérique. Le prix du porc résiste, mais si l'abattoir perd trop, il devra reconsidérer son intérêt à abattre. Et si c'est le cas, alors... tout peut arriver dans l'évolution des prix à la baisse.
Rappelons (comme un mantra) que l'Espagne exporte plus de la moitié de la viande de porc qu'elle produit et que nous avons le prix le plus cher du monde (parmi les pays ayant une production significative). Depuis l'étranger, ce que l'on appelle déjà le "miracle espagnol" est observé avec une extrême curiosité.
Miracles ou pas, la vie continue. Et dans bien des cas, nous devons faire face à ce qu'elle a de plus laid. Nous resterons attentifs à l'actualité pour pouvoir la relater et la raconter telle que nous la voyons, la percevons et l'apprécions.
Nous terminerons exceptionnellement ce mois par deux phrases de grands hommes : Friederich Nietzsche : "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort". Lucius Annaeus Seneca : "Dans l'adversité, il convient souvent de prendre un chemin audacieux".
Guillem Burset