Il s'agit d'un élevage naisseur engraisseur de 100 truies qui conduit en deux sites : un site uniquement de naissage d’où les porcelets partent à 8 kg à 28 jours et un site de post-sevrage et engraissement distant de 3 kms.
L'exploitation est située dans une zone de forte densité porcine dans les Côtes d’Armor.
L'élevage achète ses cochettes à l'extérieur, ses doses d'insémination ainsi que l’aliment pour les animaux de tous stades.
L’eau est fournie par le réseau communal pour les deux sites.
Statut sanitaire :
Le statut au départ n’est pas connu pour la plupart des pathogènes si ce n’est l’Aujesky pour lequel l’élevage est régulièrement contrôlé et est négatif.
Compte tenu de la situation géographique, il est probable que l’élevage soit positif SDRP et Mycoplasme même si l’on n’observe pas d’expression clinique.
Prophylaxies effectuées :
Jusqu’en 2002, la principale entité pathologique de cet élevage était la colibacillose à E coli K88 avec des épisodes réguliers à tous âges de 15 à 100 jours. Avec la mise en place de la vaccination des truies et le temps de n’avoir que des porcs issus de mères vaccinées en engraissement ainsi qu’une révision complète des pratiques zootechniques, ce problème a largement rétrocédé et est devenu épisodique.
Appel de l'éleveur
Au dernier trimestre 2002, l’éleveur appelle pour avertir qu’il est de nouveau confronté à des problèmes de pertes en engraissement. Cette fois ci les signes cliniques sont différents : il n’observe plus de diarrhées mais par contre, à partir de 60 jours d’âge, de la toux apparaît suivie d’amaigrissements et de mortalité sur environ 10% des sujets.
Visite de l'élevage
Ayant visité la partie naissage quelque temps auparavant et la situation à ce stade étant tout à fait satisfaisante, je réalise une visite axée sur le site d’engraissement.
Post-sevrage
Salles sur caillebotis intégral, 4 cases de 20 porcelets allotés par gabarit. Les normes zootechniques sont respectées (2 abreuvoirs par case, 6 cm de nourrisseur par sujet).
Le système de ventilation est performant et parfaitement géré.
Les porcelets sont beaux au sevrage (poids de sevrage de 8,5 à 9 kg à 28 jours). Ils sont allotés par gabarit et reçoivent un aliment supplémenté avec colistine (à 120 ppm), oxytétracycline (1000 ppm) et flubendazole (15 ppm) pendant 2 semaines. Il n’y a jamais de mélange de lot.
Jusque 60 jours, les porcelets ne présentent aucun signe pathologique que ce soit respiratoire ou digestif.
Sur les porcelets les plus âgés en PS, 75 jours le jour de la visite, on observe de la toux. De plus, 8 porcelets pour une bande de 89 sujets présentent une dyspnée (coup de flanc) et un amaigrissement. Nous prenons la température de 5 porcs malades qui présentent tous une hyperthermie modérée entre 39,5 et 40,5°C, 5 porcs non malades ont une température rectale normale.
Engraissement
Les porcs sont élevés sur caillebotis béton avec également 4 cases par bande. Les normes zootechniques sont respectées avec 2 pipettes fontaine pour 2 cases et 5 cm de nourrisseur par porc. Les porcs sont réallotés à l’entrée en engraissement en fonction du gabarit.
Le système de ventilation est performant et parfaitement géré.
Sur les 2 bandes les plus jeunes présentes en engraissement, on peut noter les conséquences des signes cliniques observés en fin de PS : 7% des porcs des deux bandes sont déjà morts, 4-5% sont des non-valeurs, on entend un fond de toux relativement sèche et non quinteuse.
Le reste des sujets a un développement normal et sur les bandes les plus âgées (là où tous les malades sont déjà morts), on ne note plus de signe pathologique.
Examens complémentaires
Le jour de la visite, 2 porcs en début d’évolution de la pathologie sont euthanasiés et autopsiés. Les éléments notables (et anormaux) sont les suivants :
- hypertrophie ganglionnaire généralisée
- néphrite interstitielle
- pneumonie massive caoutchouteuse avec une note de 20/28 sur les deux sujets
- hépatisation des lobes apicaux et cardiaques sur les deux sujets.
Les poumons sont envoyés au laboratoire pour bactériologie, PCR SDRP et histologie en vue d’une recherche de MAP.
Dans le même temps, nous programmons un contrôle pulmonaire à l’abattoir dés le prochain départ et nous prélevons 7 porcelets de 10 semaines d’âge et 7 porcelets de 17 semaines d’âge pour recherche SDRP et mycoplasme.
En effet, le diagnostic clinique et nécropsique nous oriente vers une origine mixte virale (MAP+/-SDRP) et bactérienne (Mycoplasma hyopneumoniae).
Mesures d’attente conseillées
Etant donné notre diagnostic clinique, nous préconisons à l’éleveur un traitement à l’aspirine pendant 3 jours et à la lincocine pendant 7 jours en vue de réduire les symptômes et dans l’attente des résultats d’analyse.
Résultats des examens complémentaires et conclusions
Résultats des examens complémentaires
1- Contrôle abattoir
Il a été réalisé 8 jours après la visite sur 66 porcs
Note | 0 |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
6 |
7 |
8 |
9 |
10 |
>10 |
% de poumons | 20 |
6 |
12 |
10 |
6 |
5 |
2 |
1 |
3 |
0 |
0 |
2 |
La note moyenne du lot est de 2,3/28.
Il n’a pas été observé de pleurésie mais un nombre important de sillons cicatriciels (>20% du lot).
2- Résultats sérologiques
Le profil sérologique a donné les indications suivantes :
N° |
Age |
Myco
hyo (ELISA DAKO) |
SDRP
(ELISA IDEXX) |
1 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
2 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
3 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
4 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
5 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
6 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
7 | 10 semaines | Négatif |
Négatif |
8 | 17 semaines | Positif |
Négatif |
9 | 17 semaines | Négatif |
Négatif |
10 | 17 semaines | Négatif |
Négatif |
11 | 17 semaines | Positif |
Négatif |
12 | 17 semaines | Négatif |
Négatif |
13 | 17 semaines | Positif |
Négatif |
14 | 17 semaines | Négatif |
Négatif |
3- Résultats de laboratoire sur les poumons
Il n’a été isolé que du Streptococcus suis 2 sur les deux poumons analysés.
L’histologie a conclu sur les deux sujets à une bronchopneumonie interstitielle d’allure virale accompagnée d’une surinfection bactérienne.
Le marquage par immuno-histochimie du PCV2 est négatif mais est positive pour la grippe.
Enfin, la PCR SDRP (pool des deux poumons) est négative.
La conclusion de l’ensemble des analyses réalisées nous oriente vers une pathologie infectieuse associant influenza et mycoplasme.
4- Conclusion et mesures conseillées
A la vue de l’ensemble de ces résultats, nous proposons à l’éleveur :
- une prévention des hyperthermies avec paracétamol dans l’aliment les deux dernières semaines de PS et la première d’engraissement
- un traitement à la chlortétracycline + sulfamides sur les lots non vaccinés mycoplasme 3 jours tous les 15 jours de 8 à 14 semaines d’âge
- une vaccination mycoplasme mono dose à une semaine d’âge à partir des prochains sevrages
Evolution du cas
Pendant les 6 mois ayant suivi, les problèmes cliniques et les pertes ont largement rétrocédé. Au bout de 3 mois d’ailleurs, l’éleveur avait de sa propre initiative arrêté le paracétamol et comme prévu les traitements antibiotiques sur les porcs vaccinés mycoplasme.
Au bout de ces 6 mois, la pathologie a recommencé avec des signes décalés dans le temps associant toux, montées en température et nervosité (certains porcs tuant par bagarres des congénères affaiblis)
Un contrôle abattoir a été refait avec des résultats très satisfaisants (note moyenne 0,3/28, 86% indemnes).
Un profil sérologique (5 porcs à 9, 15 et 25 semaines) s’est révélé complètement négatif pour le SDRP mais positif en ELISA pour la grippe à 25 semaines (et négatif à 15 semaines).
- Dans ce contexte et étant donné que seule la piste de la circulation grippale semblait marquante, une vaccination grippale a été conseillée à 6 semaines et 10 semaines d’âge.
- De plus, une mesure d’accompagnement à savoir des désinfections d’ambiance au nébulisateur à froid (Atomist) deux fois par jour dans toutes les salles d’engraissement a été prescrite. Un produit très peu nocif à base de troclosène (dérivé du chlore) a été utilisé.
Depuis 1 an maintenant, l’éleveur n’a pas modifié ce plan de prophylaxie et le désir légitime d’arrêter la vaccination se fait parfois sentir. Ceci présente forcément un risque qu’il nous est impossible de quantifier. Comment objectiver les conséquences d’un tel arrêt ?
Commentaires
Ce cas illustre plusieurs points qui méritent d’être discutés :
Le diagnostic clinique voire nécropsique
Comme le démontre ce cas, les problèmes respiratoires rencontrés en élevage sont de plus en plus complexes et associent divers agents pathogènes.
A lui seul l’examen nécropsique des deux animaux réalisé lors de la 1ère visite d’élevage ne nous aurait pas permis de conclure à un rôle primaire du virus influenza.
A qui la photo présentée dans la description du cas a inspiré en 1ère intention des lésions d’origine grippale et mycoplasmique ?
La démarche analytique vis à vis de la grippe
A mon avis, les analyses de laboratoire dans le cadre du diagnostic de la grippe porcine sont souvent décevantes :
- L’analyse sérologique par IHA est spécifique du génotype mais peut-on être sûr qu’elle est capable de détecter par d’éventuelles réactions croisées tous les génotypes circulant en France ? Comment expliquer des résultats sérologiques négatifs et des immuno histochimies positives dans le même élevage ?
- L’ELISA permet a priori de détecter la présence d’anticorps dirigés contre tous les virus de type A mais a-t-on suffisamment d’informations issues du terrain ? De toute façon (et même si ça n’a pas systématiquement d’intérêt comme discuté par la suite), elle ne permet pas de connaître le génotype précis en cause et peut éventuellement détecter des génotypes non pathogènes.
- La culture sur œuf embryonné présente plusieurs inconvénients (sensibilité, coût en particulier) avec un délai de réponse pour le typage incompatible avec une pratique quotidienne.
- L’immuno-histochimie et l’immunofluorescence sont des outils diagnostic individuel intéressants mais là encore sans précision du génotype et difficilement exploitable pour des études de dynamique d’infection dans un troupeau
- L’histologie n’est malheureusement pas souvent très concluante à elle seule.
La détermination du génotype en cause
Scientifiquement et/ou épidémiologiquement parlant, elle paraît nécessaire si ce n’est indispensable.
De façon pragmatique, pour l’éleveur et son vétérinaire conseil, la réponse est souvent différente car le génotype en cause ne va pas modifier profondément les actions correctives proposées.
Enfin, où en est-on en France dans la connaissance des génotypes pathogènes pour le porc qui circulent réellement ?
Les alternatives thérapeutiques
Outre les mesures techniques (allotement, ventilation…), les mesures médicales sont peu nombreuses et parfois coûteuses et le retour sur investissement parfois difficile à calculer tant la pathologie grippale peut prendre des allures très différentes.
Toutefois, certaines mesures sont souvent indispensables comme le recours aux antipyrétiques pour les cas aigus (voire les anti-infectieux pour la gestion des surinfections). La vaccination antigrippale des porcelets est très rarement mise en place d’une part parce qu’heureusement rarement nécessaire pour les cas d’évolution rapide mais également parce que son efficacité est parfois discutée (dans la lutte contre l’infection à H1N2 par exemple).
Enfin, les nébulisations d’ambiance sont à mon sens une aide précieuse dans la gestion des cas compliqués en visant à limiter la contagion lente de salle en salle et par la même l’aspect chronique de l’infection.