L'idée de manipuler le microbiote au profit des humains et des animaux n'est pas nouvelle. La transplantation de microbiote fécal a été utilisée pour contrôler l'infection par Clostridioides dificille chez l'homme en 1958, mais comment pouvons-nous utiliser la modulation du microbiote (ou ingénierie du microbiome) en production porcine ?
La tentative de modulation du microbiote part de l'hypothèse d'une dysbiose (déséquilibre des communautés microbiennes prédisposant aux maladies). De même, il n'existe pas à ce jour de consensus sur la définition (ou la manière de définir) d'un microbiote sain. Comme nous l'avons vu dans les articles précédents, il existe de nombreuses variations entre les individus (et au sein d'un même individu) et cette tâche est très difficile. Nous savons, par exemple, à quoi ressemble un porc atteint de diarrhée. Il existe une définition clinique stricte (augmentation de la fréquence de défécation et du volume des selles en raison d'une teneur en eau accrue). Aussi simple que cela puisse paraître, la science du microbiome n'en est qu'à ses débuts et il n'existe pas encore de définition générale d'un microbiote sain. Cependant, il a été suggéré que ce qui distingue un microbiote sain n'est pas sa réponse aux perturbations, mais sa résilience après les perturbations.
Comment ?
La figure 1 illustre cette situation de manière graphique. La résilience du microbiote est sa capacité à revenir à un état sain, similaire à celui d'avant la perturbation. Les microbiotes qui ne sont pas résilients ont tendance à rester dans des états altérés, ce qui est associé à la sensibilité aux maladies (par exemple, les infections à C. difficile chez les porcs et les humains). Par conséquent, la " modulation " ou la " manipulation " du microbiote vise souvent à améliorer la résilience de la communauté microbienne globale. Plusieurs interventions de modulation ont vu le jour dans la filière porcine, qui ciblent la distribution relative des espèces/souches bactériennes, le nombre de bactéries, leur activité métabolique ou leurs interactions avec l'hôte. Cela repose en grande partie sur des ingrédients tels que les prébiotiques, les probiotiques et les postbiotiques dans l'alimentation. D'autres technologies ont été développées à des stades commerciaux, comme les transplantations ou les bactériophages. Nous disposons de bases de données qui fournissent des indications sur les stratégies qui présentent des preuves d'efficacité contre certaines maladies humaines (par exemple, http://www.probioticchart.ca). Malheureusement, il n'existe pas (encore) d'équivalent pour la médecine vétérinaire. Alors, où en est-on de l'utilisation des stratégies de modulation du microbiote en production porcine ?
Tout d'abord, il y a deux aspects importants pour répondre à cette question :
- Les changements ponctuels dans la composition du microbiome se produisent souvent de manière naturelle (par exemple, en raison des cycles circadiens et des situations stressantes). Elles sont normales et attendues.
- Les changements de composition n'ont pas de sens sans effets causaux.
Pour modifier efficacement la composition du microbiote, il faut déployer des efforts considérables, que ce soit par le biais de stimuli multiples (traitements quotidiens sur une période donnée) ou d'un seul stimulus important (traitement à forte dose). Le lecteur doit également noter que, dans la recherche sur le microbiome, la corrélation n'implique pas la causalité. Il est difficile, voire impossible, de déduire un lien de causalité en se basant uniquement sur des données d'observation (études décrivant des changements dans la composition du microbiome intestinal après une intervention). Ce type d'étude est l'approche la plus courante, probablement parce que la méthodologie utilisée est facilement disponible aujourd'hui. Bien que ces études ne doivent pas être ignorées, car elles fournissent des données de base importantes sur l'intervention étudiée, elles ne fournissent pas de données permettant de soutenir la causalité. Le critère de référence pour obtenir ce type de données est le modèle simplifié (par exemple, le modèle cellulaire ou le modèle souris), dans lequel de nombreux facteurs peuvent être contrôlés en même temps. Ces modèles sont coûteux et prennent du temps, de sorte que de nombreuses interventions ne sont pas pleinement évaluées, laissant la filière avec des données basées uniquement sur la corrélation. Il est suggéré que cet obstacle est peut-être le plus important à surmonter avant de pouvoir libérer toute la puissance de la modulation du microbiote pour la performance et la santé des animaux. Mais l'avenir est prometteur pour ceux qui sont prêts à investir et à explorer !