La filière porcine fait face à de nombreux défis (souveraineté alimentaire, neutralité carbone, bien-être animal, risques sanitaires) dans un contexte changeant au niveau de la filière et des consommateurs. Des repères sont requis pour identifier les voies d’évolution possibles et leurs incidences.
Cette étude conduite par l’IFIP propose la génération et l’évaluation de plusieurs scénarios d’avenir des élevages porcins permettant de combiner différentes options et hypothèses, et de simuler l’impact de chocs d’approvisionnement (hausse ou baisse de la production porcine française) sur l’activité des abattoirs français. Il s’agit d’apporter à la filière porcine des repères pour préparer au mieux son avenir.
Cette étude formalise 20 scénarios de production porcine française pour 2050 en croisant :
- un volume de production : 110 % de la consommation actuelle, ou tendanciel pessimiste, ou calé sur les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) appliqués au porc,
- des types d’élevage avec différents niveaux de représentativité nationale croisés avec deux niveaux d’implémentation de bonnes pratiques, actuel ou optimal,
- et deux niveaux de consommation nationale en produits porcins, actuel ou -20 %.
Pour chaque scenario, 7 indicateurs de durabilité (Bilan GES, SNBC, NH3, Surface, Nvalorisable, coût, taux de couverture) sont calculés et comparés à la situation actuelle :
- Bilan GES : émissions de l’élevage porcin en France à la ferme (N2O et CH4) et des intrants alimentaires (production et transport), importations de produits porcins, production d’engrais minéraux.
- SNBC : émission de GES des élevages porcins français et des aliments produits en France / objectif à atteindre.
- NH3 : émissions d’ammoniac des élevages liées aux effluents
- Surface : pour la production des matières premières consommées par les porcs (France et étranger).
- N valorisable : quantités d’azote organique épandables.
- Coût : investissement dans des BPE (bonnes pratiques environnementales) sur 10 ans.
- Taux de couverture : rapport production porcine française/consommation des produits porcins des Français.
Résultats de l’évaluation des scénarios
Production (kt vif de porcs charcutiers) | Part conv (%) | BPE | Bilan GES (kt eqCO2) | SNBC (%) | NH3 (kt) | Surface (ha.an-1) | N valorisable (t N) | Coût (M€) |
Taux couverture (%) | ||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Conso actuelle | |||||||||||
S0 | Actuelle | 2851 | 98 | BPE1 | 9057 | 170 | 41 | 1095329 | 72594 | 0 | 105 |
S1 | 110 % conso | 3000 | 98 | BPE1 | 9589 | 193 | 45 | 1112530 | 67967 | 18 | 114 |
S2 | 3000 | 98 | BPE2 | 7374 | 145 | 38 | 1112530 | 74999 | 231 | 114 | |
S3 | 3000 | 50 | BPE1 | 12765 | 256 | 68 | 2218314 | 59473 | 0 | 114 | |
S4 | Tendanciel- | 2338 | 98 | BPE1 | 8352 | 150 | 35 | 866211 | 52855 | 6 | 89 |
S5 | 2338 | 98 | BPE2 | 6624 | 113 | 30 | 866211 | 58322 | 169 | 89 | |
S6 | 2338 | 50 | BPE1 | 10806 | 200 | 53 | 1728835 | 46350 | 0 | 89 | |
S7 | SNBC | 1564 | 98 | BPE1 | 8109 | 100 | 20 | 579940 | 35370 | 0 | 59 |
S8 | 2056 | 98 | BPE2 | 6743 | 100 | 22 | 762300 | 51326 | 177 | 78 | |
S9 | 1167 | 50 | BPE1 | 9239 | 100 | 31 | 862696 | 22857 | 0 | 44 | |
S10 | 1287 | 50 | BPE2 | 8919 | 100 | 28 | 951086 | 26746 | 41 | 49 | |
Conso -20% | |||||||||||
S11 | 110 % conso | 3000 | 98 | BPE1 | 9589 | 193 | 45 | 1112530 | 67967 | 18 | 143 |
S12 | 3000 | 98 | BPE2 | 7374 | 145 | 38 | 1112530 | 74999 | 231 | 143 | |
S13 | 3000 | 50 | BPE1 | 12765 | 256 | 68 | 2218314 | 59473 | 0 | 143 | |
S14 | Tendanciel- | 2338 | 98 | BPE1 | 7534 | 150 | 35 | 866211 | 52855 | 6 | 111 |
S15 | 2338 | 98 | BPE2 | 5805 | 113 | 30 | 866211 | 58322 | 169 | 111 | |
S16 | 2338 | 50 | BPE1 | 10010 | 200 | 53 | 1728835 | 46350 | 0 | 111 | |
S17 | SNBC | 1564 | 98 | BPE1 | 6641 | 100 | 20 | 579577 | 35365 | 0 | 74 |
S18 | 2056 | 98 | BPE2 | 5275 | 100 | 22 | 762300 | 51326 | 177 | 98 | |
S19 | 1167 | 50 | BPE1 | 7772 | 100 | 27 | 862554 | 22860 | 0 | 56 | |
S20 | 1287 | 50 | BPE2 | 7451 | 100 | 28 | 951086 | 26746 | 41 | 61 |
Aucun scénario « amont » ne permet de concilier les besoins de consommation des Français en produits porcins et l’atteinte des objectifs SNBC, même en considérant une baisse de consommation de 20 % et un niveau optimal de déploiement de BPE. Celui qui s’en approche le plus est le scénario S18. Il réduit la consommation de 20 % et la production porcine actuelle de 28 %.
Avec un maintien de la consommation actuelle, les scénarios permettant d’atteindre les objectifs SNBC, conduisent tous à une réduction du volume de production porcine (de -28% avec S8 à -59% avec S9). Aucun d’eux ne couvre les besoins de consommation ce qui engendre des importations conséquentes. De fait, l’amélioration des émissions GES nationales liées aux élevages porcins se voit réduite, voire annulée au niveau du Bilan GES.
Les scénarios SNBC avec 50 % de bio (S9 et S10) se retrouvent avec un Bilan GES proche de l’actuel (respectivement +2 % et -2 %) et avec des taux de couverture respectivement de 44 % et 49 %. Ainsi, il n’y a pas d’intérêt climatique à réduire la production porcine plus que notre consommation du fait des importations engendrées.
Parmi les scénarios couvrant les besoins alimentaires, ceux réduisant le plus le Bilan GES permettent d’approcher le potentiel d’amélioration : -19 % avec notre consommation actuelle (S2) et -42 % avec une consommation réduite de 20 %. Ces performances sont liées à un fort déploiement des BPE et donc à un coût élevé. Une réduction plus forte peut être atteinte si les productions végétales réduisent leur bilan GES au kg de produit : cela améliorera l’impact GES de la production des matières premières nécessaires à l’alimentation des porcs.
De nombreuses questions subsistent sur les capacités de déploiement des BPE d’un point de vue technique et économique, sur la faisabilité d’aller vers des évolutions importantes de régimes alimentaires sans transfert vers des produits plus impactants que le porc.
Une autre interrogation est l’évolution des performances techniques. Les projections d’amélioration retenues dans les cas-types semblent compatibles avec les objectifs de progrès génétiques mais des études de l’IFIP montrent une détérioration des performances techniques avec les effets du réchauffement climatique. Les nouveaux bâtiments d’élevage et leurs équipements joueront un rôle déterminant dans l’expression de l’amélioration des performances des animaux. A noter que les performances techniques des élevages biologiques avec du plein air ont été maintenues, mais il est probable que l’effet du climat sur ces systèmes dehors soient plus importants que pour les systèmes en bâtiment ventilés.
Les résultats montrent une quasi-impossibilité de répondre à l’ensemble des attentes (SNBC et souveraineté). Avec un objectif de souveraineté basé sur notre consommation actuelle, le potentiel de réduction du bilan Gaz à effet de serre (GES) est de 19 % pour un coût de 231 M€. Dans ce cas, les émissions nationales porcines excèdent de 45 % les objectifs SNBC. Le seul scénario combinant SNBC, souveraineté, et forte réduction du bilan GES est associé à une réduction de production de 28 % ce qui engendre une fragilisation importante de l’aval. La solidité de la filière est étroitement liée aux liens entre les élevages et les structures d’abattage. Une fragilisation de l’amont fragilise l’aval et si l’aval périclite, l’amont ne peut subsister. Des effets de seuils sont donc à surveiller pour améliorer mais également préserver une filière en bonne santé.
Cette étude représente un point de départ pour les décisions stratégiques, offrant des repères concrets aux acteurs de la filière. Elle donne de la visibilité à la filière porcine pour l’aider à affronter les nombreux enjeux à venir, et souligne la quasi-impossibilité de répondre à l’ensemble des attentes exprimées (SNBC et souveraineté). Cette étude a aidé la filière à construire une trajectoire vers 2035 dans une démarche de responsabilité sociétale.
Sandrine Espagnol, ingénieure environnement au Pôle Techniques d’élevages de l’IFIP (d’après un article publié aux Journées de la Recherche Porcine 2025).
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