Avec la répétition d'hier, cela fait maintenant dix-sept semaines que le prix du porc espagnol est resté inchangé. C'est très exceptionnel, tant pour pour ce qui est de la durée que pour le prix lui-même, à un niveau record. Jamais auparavant nous n'avions connu quatre mois consécutifs (ni même trois) de répétition.
Voyons comment certains de nos pays voisins ont évolué pendant cet intervalle, ainsi que les principaux producteurs mondiaux, dans le tableau suivant.
Tableau 1. Comparaison des prix du porc en €/kg vif entre fin mars et fin juillet 2023. Source : 3trois3
Pays | 30 mars 2023 | 28 juil 2023 | Différence |
---|---|---|---|
Espagne | 2,025 | 2,025 | 0% |
France* | 1,80 | 1,79 | - 0,6% |
Danemark** | 1,35 | 1,40 | + 4,5% |
Chine | 1,98 | 1,80 | - 9,1% |
Allemagne | 1,77 | 1,90 | + 7,3% |
Pays-Bas*** | 1,77 | 1,91 | + 7,9% |
Etats-Unis | 1,17 | 1,59 | + 36,9% |
Canada | 0,98 | 1,28 | + 30,6% |
Brésil | 1,19 | 1,21 | + 1,7% |
* La prime pour la qualité de la viande maigre n'est pas comprise dans ce prix.
** Il s'agit d'un prix d'acompte.
*** Les Pays-Bas sont considérés comme un marché satellite de l'Allemagne.
En France, le prix s'est redressé après avoir chuté en mai en raison du cumul des jours fériés.
En Allemagne, il y a un problème structurel : on n'abat que 700 000 porcs par semaine, alors qu'il y a quelques années, on en abattait plus de 1 000 000. Une reconversion du secteur des abattoirs est nécessaire, quel que soit le point de vue, qu'on le veuille ou non.
Le Danemark souffre de sa forte exposition au Grand Export (pays tiers), où la concurrence avec les Américains est brutale.
La Chine, premier importateur mondial, reste bloquée à un prix bien inférieur au prix espagnol (ce qui était impensable il y a encore peu de temps, les porcs y étant traditionnellement beaucoup plus chers). Il ne semble pas que l'intérêt de la Chine pour l'achat de viande de porc se réveille. Du moins pour l'instant.
Les États-Unis ont fortement progressé cette année grâce au bon fonctionnement des exportations et à la vigueur du marché intérieur. Le Canada progresse également, quoique lentement ( à partir d’un niveau inférieur), et le Brésil avance au compte-gouttes.
Comme nous l'avons souligné dans des commentaires précédents, le prix espagnol ne pourra pas rester indéfiniment le plus cher du monde (parmi les pays ayant une production significative). Notre dépendance vis-à-vis de l'étranger (nous exportons plus de la moitié de ce que nous produisons) nous en empêche. Nous en sommes au même point que ces derniers mois : le nombre habituel de porcs n'est pas atteint en raison du SDRP et c'est cette pénurie qui maintient le prix à son niveau actuel.
On pourrait penser que le marché se comporte en dilettante (il reporte et reporte encore toute décision), mais ce n'est pas le cas ; il manque simplement trop de porcs pour que les prix baissent et il y a trop de viande pour qu'ils augmentent.
Si l'on considère le marché des porcs vivants, la situation est simple, directe et facile : il y a très peu de porcs et ceux qui sont disponibles sont extrêmement chers. Si l'on remonte la chaîne et que l'on observe les transformateurs, la situation est très complexe, multi-facettes et difficile : les prix de la viande et des produits transformés sont historiquement élevés ; l'inflation réduit le pouvoir d'achat des consommateurs et la consommation s'en ressent. Il y a moins de viande en raison de la baisse des abattages dans l'UE, mais il en reste encore beaucoup. Avec le Grand Export (pays tiers) très compliqué et difficile du fait de la forte concurrence américaine, les choses sont loin d'être simples.
Nous sommes dans un moment tout à fait exceptionnel : depuis fin mars, notre prix est toujours ancré au sommet à un niveau jamais atteint auparavant. Des prix records et une répétition ininterrompue. Entre-temps, nos partenaires européens ont fini par s'aligner sur le prix espagnol ( à une certaine distance, il est vrai) à la seule exception du Danemark qui reste plusieurs échelons en dessous, très dépendant du Grand Export. Dans le reste du monde, on observe également un mouvement à la hausse bien que, en dehors de l'Europe, tous les prix en général soient bien en deçà des prix européens.
Le prix espagnol ne peut que baisser. La question à un million est : quand ? Nous ne pensons pas qu'il puisse rester au même niveau pendant encore de nombreuses semaines. L'abattoir lutte pour contenir l'hémorragie de ses résultats hebdomadaires ; avec des prix de la viande en lent recul, il n'y aura pas d'autre option que de réduire encore l'abattage pour minimiser les pertes. Aujourd'hui déjà, de nombreux abattoirs espagnols ne travaillent que quatre jours par semaine.
Comme nous l'avons commenté à plusieurs reprises cette année, le marché est très tendu et il est probable - nous le tenons pour acquis - que nous vivons en direct (et sans anesthésie) une reconversion brutale du secteur industriel. Malheureusement, certaines entreprises passeront à la trappe.
Nous terminerons par une citation d'Henry Ford, homme d'affaires américain visionnaire (considéré comme l'inventeur de la production à la chaîne) : "Quand tout semble être contre vous, souvenez-vous que l'avion décolle face au vent, et non avec lui".
Guillem Burset