Ce besoin de sécurité juridique est d'autant plus crucial que le secteur agricole doit faire face à certaines spécificités (contraintes naturelles, déséquilibres de marché, PAC).
À l'issue des EGA, le ministre de l'Economie et des finances a saisi l'Autorité de la concurrence d'une demande d'avis relative aux possibilités d'action offertes aux acteurs du secteur agricole pour structurer les filières et adapter le plus efficacement possible l'offre à la demande.
Cette saisine intervient dans un contexte particulier, marqué par la décision récente de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 novembre 2017 rendue dans l'affaire dite Endives, ainsi que par l'évolution du cadre normatif européen à travers l'adoption du règlement dit « Omnibus » du 13 décembre 2017.
La saisine comporte 18 questions qui peuvent être classées autour de 4 grands axes :
1. LES PRATIQUES « HORIZONTALES » (ENTRE PRODUCTEURS)
Quelles actions peuvent entreprendre les producteurs au sein des organisations de producteurs (OP) et des associations d'organisations de producteurs (AOP) ?
2. LES ACCORDS « VERTICAUX » (ENTRE ACTEURS DU SECTEUR AU SEIN DES INTERPROFESSIONS)
Quelles actions peuvent entreprendre les organisations interprofessionnelles (OI) ?
3. LES DÉMARCHES DITES « TRIPARTITES »
Comment le droit de la concurrence s'applique-t-il aux démarches tripartites associant producteurs, intermédiaires et distributeurs ?
4. LES FILIÈRES DE QUALITÉ
Comment le droit de la concurrence s'applique-t-il aux filières de qualité ?
L'avis rendu permettra notamment à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'élaborer des lignes directrices sur l'application du droit de la concurrence au secteur.
1. L'ARRÊT « ENDIVES » DE LA COUR DE JUSTICE ET LE RÈGLEMENT « OMNIBUS » ONT RESPECTIVEMENT PRÉCISÉ ET ÉTENDU LES POSSIBILITÉS DE PRATIQUES HORIZONTALES ENTRE PRODUCTEURS AU SEIN DES OP ET AOP
Les OP ou les AOP sont des structures constituées à l'initiative de producteurs qui se regroupent dans l'objectif de mutualiser leurs moyens afin de rééquilibrer les relations commerciales avec les acteurs économiques de l'amont et de l'aval de leur filière. On compte aujourd'hui 650 OP, principalement dans le secteur du lait, des fruits et légumes, de l'élevage et de la viande.
Le législateur européen préconise de longue date le regroupement de producteurs au sein d'OP afin de remédier aux déséquilibres des marchés agricoles liés à la structure d'une offre atomisée et d'une demande concentrée. A cet égard, selon les chiffres publics disponibles, on dénombrait en France en 2016, environ 472 000 exploitations agricoles françaises, 17 600 entreprises agroalimentaires et 4 grosses centrales d'achat.
L'arrêt « Endives » de la Cour de justice est venu clarifier le cadre juridique applicable aux pratiques des OP et AOP. Les pratiques mises en œuvre au sein d'OP ou d'AOP formellement reconnues par les Etats membres (échanges d'informations stratégiques, fixation collective de prix minima de vente, concertations sur les volumes, etc…) peuvent échapper à l'application de l'article 101, paragraphe 1, TFUE si elles sont strictement nécessaires pour atteindre les objectifs assignés à l'OP ou l'AOP en conformité avec le règlement OCM. En revanche, les pratiques mises en œuvre entre OP et AOP ne sont pas couvertes par cette dérogation au droit de la concurrence et sont donc susceptibles d'être prohibées au regard du droit des ententes.
Le règlement « Omnibus » a introduit une nouvelle dérogation au droit des ententes pour les OP et AOP reconnues, sous réserve qu'elles respectent certaines conditions, notamment celle de concentrer l'offre et mettre sur le marché la production de leurs membres, avec ou sans transfert de propriété. La poursuite des activités couvertes par la dérogation ne doit cependant pas aboutir à exclure la concurrence ou menacer les objectifs de la PAC, ce qui conduirait l'Autorité ou la Commission à interrompre ou interdire les pratiques en cause pour l'avenir.
En cas de doute sur la compatibilité de leurs pratiques avec le droit de la concurrence, les OP et AOP peuvent saisir pour avis la Commission européenne.
Ces évolutions récentes devraient permettre d'aboutir à un renforcement du mouvement de concentration de l'offre, à travers la création de nouvelles OP mais aussi d'AOP, ces dernières restant encore assez peu développées.
2. DANS LEUR MISSION DE STRUCTURATION DES FILIÈRES, LES OI PEUVENT DIFFUSER DES INDICATEURS OU DES INDICES, AINSI QUE DES CLAUSES TYPE DE RÉPARTITION DE LA VALEUR TELLES QUE PRÉVUES DANS LE RÈGLEMENT OMNIBUS, SOUS RÉSERVE DE RESPECTER CERTAINES PRÉCAUTIONS.
Les OI, incluant des représentants liés à la production et d'au moins un autre partenaire de la chaîne d'approvisionnement (industriels ou distributeurs), se constituent autour de problématiques communes et agissent dans l'intérêt de l'ensemble de leurs membres. Pour des raisons historiques, elles constituent en France une forme d'organisation très active dans la structuration des filières agricoles et alimentaires.
Comme le souligne le Ministre dans sa saisine, les EGA ont mis en évidence une forte demande de transparence sur les marchés et la nécessité de mieux prendre en compte les coûts de production dans la détermination des prix d'achat des produits agricoles. La publication par les OI d'indicateurs et d'indices pertinents est apparue comme l'un des instruments privilégiés. A cet égard, l'Autorité rappelle que les OI peuvent diffuser des données statistiques passées, anonymes et suffisamment agrégées.
Ainsi, les OI peuvent par exemple fournir à leurs membres des informations économiques générales, élaborer des contrats types, initier des démarches qualitatives et de montée en gamme ou promouvoir les produits auprès du consommateur. Les organisations interprofessionnelles peuvent également se saisir de la possibilité qui leur a été explicitement ouverte par le règlement Omnibus d'établir des clauses types de répartition de la valeur entre agriculteurs et leurs premiers acheteurs.
Les dérogations aux règles de concurrence qui leur sont octroyées par le règlement OCM diffèrent en revanche de celles dont bénéficient les OP et AOP. Elles ne peuvent en particulier mettre en place des actions de régulation des volumes. Le règlement OCM interdit clairement aux OI la fixation de prix ou de quotas.
De plus, lorsqu'elles construisent elles-mêmes des indicateurs, ce qui peut impliquer des échanges d'informations stratégiques au sein de l'OI, elles doivent veiller au respect des règles de concurrence, s'agissant notamment des modalités de recueil des informations.
Enfin, les indicateurs ou les clauses de répartition de la valeur ne doivent revêtir aucun caractère normatif ou devenir obligatoires, notamment dans le cadre d'une extension d'accord interprofessionnel, et ne doivent pas s'apparenter à des recommandations de prix pouvant aboutir à un accord collectif sur les niveaux de prix pratiqués par les opérateurs.
En cas de doute lors de l'élaboration d'indicateurs ou de clauses-types, les OI peuvent les notifier à la Commission européenne afin de s'assurer qu'elles respectent le droit de la concurrence.
3. LES DÉMARCHES TRIPARTITES SONT GARANTES DE GAINS D'EFFICIENCE POUR LES PARTIES SOUS RÉSERVE DE RESPECTER CERTAINES CONDITIONS
Dans le secteur agricole, la fluctuation de l'offre et de la demande sur les marchés a encouragé certains acteurs à recourir à la contractualisation, sous forme de démarches tripartites associant producteurs, industriels et distributeurs. Ces démarches consistent fréquemment en une succession de contrats bipartites, respectivement entre producteurs et transformateur et entre transformateur et distributeur, prévoyant un volume de production et des prix d'achat, et adossés à un cahier des charges fixant des critères de qualité des produits.
Ces démarches tripartites sont susceptibles de produire de nombreux gains d'efficience pour les différentes parties : meilleure rémunération et garantie de débouchés pour le producteur, garantie pour l'industriel de rentabiliser une partie de ses infrastructures, garantie pour le distributeur d'un approvisionnement conforme à ses exigences, en termes notamment de qualité, transparence et meilleure qualité pour le consommateur.
Les parties engagées dans une démarche tripartite doivent néanmoins être prudentes lorsqu'elles détiennent une part de marché dépassant le seuil de 30% prévu par le règlement sur les restrictions verticales, en particulier si le contrat est basé sur une relation d'exclusivité entre un producteur ou un groupement de producteurs et son acheteur.
4. LE RECOURS AUX DÉROGATIONS PRÉVUES PAR LA RÉGLEMENTATION AGRICOLE PERMET AUX PRODUCTEURS DE SÉCURISER LA MONTÉE EN GAMME DE LEURS PRODUITS.
S'agissant des pratiques permettant une montée en gamme de la production, l'Autorité recommande aux acteurs du secteur agricole de se fonder sur les dispositions d'exemptions propres au secteur agricole. À cet égard, le règlement OCM permet aux Etats membres, à la demande de producteurs, de leurs associations, ou des OI, d'adopter des règles contraignantes pour la régulation de l'offre pour les fromages et le jambon bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (AOP) ou d'une indication géographiquement protégée (IGP) ainsi que dans le secteur vitivinicole.
Ces dérogations spécifiques aux règles de concurrence fondées sur des considérations en matière de qualité sont exclusivement liées à la gestion des volumes et ne peuvent porter sur les prix. Les parties entendues par l'Autorité valorisent l'efficacité de telles règles pour la compétitivité des filières.
A cet égard, dans un souci de clarification des règles, l'Autorité préconise d'étendre les possibilités de régulation de l'offre existant dans ces secteurs sous AOP et IGP à d'autres produits bénéficiant de telles appellations.
Jeudi, 3 mai 2018/ Autorité de la Concurrence/ France.
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